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Intégration de l'ergonomie dans une méthode de spécification :
le cas du développement d'un outil expert en fiabilité
    




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Par Valérie LAGRANGE
EDF-DER. Département Étude de Sûreté et de Fiabilité
1, av. Général de Gaulle - 92141 Clamart
Tél: (33 1) 47 65 31 39 * E-mail :Valerie.Lagrange@der.edf.fr

et

Henri FANCHINI
henri.fanchini@artis-facta.com

ARTIS FACTA - Ingénierie des Facteurs Humains
51, rue de l'Amiral Mouchez - 75013 PARIS
Tél : +33 1 43 13 32 33 - Fax : +33 1 43 13 32 39 *

Paru dans les actes du Congrès  ERGOI.IA, Biarritz, 1996.



Résumé

Le projet TOPASE vise à développer un outil expert en fiabilité, permettant à des experts en conception de réaliser de façon semi-automatique des études de sûreté de fonctionnement. Les spécifications de l'outil ont été définies en s'appuyant sur la méthode OOA (Oriented Object Analysis) de Shlaer & Mellor [1] et en ayant recours à un prototypage faisant intervenir des experts des deux domaines (concepteurs de postes électriques et fiabilistes). L'article vise à mesurer l'intérêt de la méthode OOA comme support à l'intervention ergonomique dans ce projet, notamment pour définir la logique d'utilisation et spécifier l'IHM.

Mots clefs : OOA, ergonomie, IHM, fiabilité




Introduction


Le projet Recherche & Développement TOPASE (Traitement et Outils Probabilistes pour l'Analyse de Systèmes Électriques) initié par le département Études de Sûreté et de Fiabilité de la Direction des Études et Recherche d'EDF a pour ambition de diffuser l'approche et les méthodes de sûreté de fonctionnement (SdF) auprès des concepteurs de postes du réseau de transport électrique.

Dans ce cadre, il faut concevoir un outil permettant d'automatiser en partie les études de SdF, pour mettre celles-ci à la portée de non experts dans le domaine de la SdF.

Le caractère innovant de ce projet de R&D réside dans la conjugaison des points suivants :

  • une avancée théorique, à savoir la consolidation d'un corpus de connaissances et de méthodes en SdF pour le domaine d'application des postes électriques,

  • le choix d'une automatisation forte, se traduisant par la modélisation du fonctionnement d'installations électriques et de la propagation de défauts électriques ainsi que par la réalisation de calculs complexes très lourds à exécuter manuellement,

  • au final, un objectif global de mise à disposition d'une expertise en SdF par "délégation" à un outil logiciel, en demeure de présenter des garanties suffisantes de robustesse pour que les connaissances mises en oeuvre et les résultats produits puissent être exploités et interprétés à bon escient par des non experts.

Compte tenu à la fois de la complexité du problème technique inhérent à l'automatisation d'études de fiabilité et de la distance actuelle entre les pratiques de fiabilité et celles de conception de postes, il a été décidé de développer le projet autour d'un prototype -- TOPASE 1 -- ayant une double vocation :

  • ajuster certaines phases automatisées des études de SdF, afin de spécifier précisément les conditions d'utilisation d'un outil automatique par des non experts,

  • susciter et affiner le besoin -- induit et/ou révélé -- d'intégration de critères de SdF en conception ou en rénovation de postes électriques.

Cette communication présente l'intervention ergonomique mise en oeuvre dans le cadre de la conception de ce prototype. Pour mémoire, un travail important -- non exposé ici -- de préparation des changements liés à l'introduction d'un outil automatisé de SdF dans l'organisation a été menée en parallèle de la conception.

Nous nous centrerons sur l'apport de la méthode d'analyse et de spécification OOA (Oriented Object Analysis) de SHLAER & MELLOR [1] à la démarche ergonomique menée dans le projet.



Perspectives initiales

La démarche ergonomique envisagée au départ

L'équipe de projet comprend des fiabilistes, des spécialistes des postes électriques, des informaticiens, des ergonomes et des représentants des futurs utilisateurs, à savoir des concepteurs de postes électriques.

Cette équipe, en choisissant de s'appuyer dans un premier temps sur un prototype, a opté pour une situation de conception "ouverte" et s'est ainsi concédé un "droit à l'erreur" en se ménageant des possibilités de rajustement.

Classiquement dans un projet de conception, l'approche ergonomique (figure 1) débute par l'analyse de l'existant. A partir de cette étape clef, l'intervention ergonomique se développe, passant graduellement du repérage de Situations d'Activité Caractéristiques [1] [3] à une projection de l'Activité Future Probable [4].

Or, cette approche -- parfaitement adaptée lorsque le projet de conception vise à instrumenter des tâches existantes -- nécessite d'être modifiée lorsque la situation future est très éloignée de l'existant et qu'aucune réelle situation de référence n'existe.

Le projet TOPASE présente cette double difficulté, puisqu'il revient à :

  • demander à des experts (en conception de postes) d'intégrer un nouveau domaine d'expertise (la sûreté de fonctionnement) actuellement éloigné de leur propre expérience,

  • automatiser des tâches de fiabilité, qui -- pour les fiabilistes eux-mêmes -- ne relèvent pas encore de pratiques entièrement consolidées.

La conception de l'outil TOPASE, pour des non fiabilistes, nous amène donc à envisager ce que sera le travail futur des concepteurs de postes incluant des critères de SdF. La spécification de l'outil suppose ainsi d'appréhender deux types de besoins :

  • les besoins des fiabilistes pour réaliser des études de SdF automatisées,

  • compte tenu de cette connaissance, les besoins des concepteurs de postes pour intégrer la SdF à leurs pratiques.
La démarche ergonomique "classique" a donc été modifiée en conséquence (cf. figure 3).

Fig.1 : Une démarche d'ergonomie de conception, tiré de [2]



Le choix de la méthode OOA : les grands principes de départ


Dans un but de qualité logiciel, la méthode OOA, choisie par le chef de projet afin d'organiser tout le travail de conception du prototype TOPASE 1, l'a été en vertu des points forts suivants :

  • structuration de la démarche globale de conception,

  • contrôle des coûts et délais par une réduction de la phase de conception au profit d'un approfondissement de la phase de spécification,

  • augmentation significative de la traçabilité des choix de conception.

De façon très simplifiée, les grands principes de la méthode OOA amènent à découper les spécifications en différents domaines (cf. figure 2):

  • applicatifs : ce pourquoi l'outil est construit,

  • de service, comprenant l'IHM, l'accès aux données,

  • d'architecture, comprenant les bases de données, les bases de connaissances, les systèmes d'exploitation, les langages.

Dans ce contexte, des utilisateurs d'OOA [5] ont proposé de distinguer formellement trois domaines essentiels, pour mieux rendre compte de l'interactivité de l'application :

  • au niveau applicatif :

    • le SÉQUENCEMENT, qui décrit les objectifs de l'outil, ses tâches et leur enchaînement ;

    • le CONTRÔLE, qui définit les capacités du système technique nécessaires à la réalisation de chaque tâche concernée ;

  • au niveau des services :

    • la PRÉSENTATION, qui décrit l'interaction homme-machine (information et dialogue).

Fig.2 : La carte des domaines dans TOPASE 1

A partir de cette structuration des spécifications et du partage des tâches au sein de l'équipe, les ergonomes ont pris à leur charge en premier lieu la description du domaine SÉQUENCEMENT, puis la spécification du domaine PRÉSENTATION.

Pour les ergonomes, la méthode OOA présentait de prime abord un double intérêt :

  • une grande part de la connaissance sur la situation future peut être décrite dans le domaine SÉQUENCEMENT : l'ensemble des tâches et sous-tâches, avec le déroulement des actions et des prises d'informations y sont envisagés ; ainsi, le point de vue de l'utilisateur peut être explicitement intégré dès le départ du projet,

  • une déclinaison "naturelle" des caractéristiques de l'IHM et du domaine PRÉSENTATION semble réalisable à partir du SÉQUENCEMENT.

Cependant, la mise en oeuvre des principes de la méthode concernant ces deux domaines nous a amenés assez rapidement à pointer certaines faiblesses et à rechercher des palliatifs.



L'intervention ergonomique : des principes à la réalité

OOA : les premières faiblesses identifiées

Contrairement aux domaines CONTRÔLE et NOYAU qui sont décrits dans la méthode à partir d'un langage opératif, SÉQUENCEMENT et PRÉSENTATION sont décrits en langage naturel.

Par ailleurs, des outils support existent pour les domaines CONTRÔLE et NOYAU, mais rien n'est proposé pour le SÉQUENCEMENT.

Concernant la spécification de l'interface, la méthode OOA fournit un certain nombre de directives qui permettent de transférer l'analyse effectuée dans le domaine PRÉSENTATION vers la conception de l'IHM.

Sans entrer dans le détail, la méthode suppose l'existence d'une boîte à outils d'interface (widgets) et propose de mettre à jour les interactions et les processus d'échange d'information avec l'opérateur, par dérivation des cycles de vie et des interrelations propres aux objets modélisés.

Cette dérivation de l'interface à partir de l'analyse est séduisante car elle procède d'un processus d'émergence, mais cette approche n'est pas définie actuellement de façon assez opérationnelle pour spécifier complètement l'IHM.

On aboutit en fait à une production assez mécaniste de l'interface, qui part des objets modélisés dans le domaine CONTRÔLE. Seuls les informaticiens suffisamment impliqués dans la spécification du domaine CONTRÔLE sont en mesure de générer cette épure, aussi tout un corpus de connaissances ergonomiques applicable aux IHM est-il ignoré. De plus, dès que l'outil conçu est complexe, la genèse "automatique" de l'interface est battue en brèche par le nombre d'exceptions et de cas particuliers qu'il faut résoudre. Ceux-ci ne peuvent être tranchés qu'en appliquant avec discernement un certain nombre de principes ergonomiques parfois antagonistes.

Pour ces raisons et d'autres relatives au coût, l'outil informatique permettant de réaliser cette dérivation n'a pas été retenu.

La spécification du SÉQUENCEMENT

Compte tenu du caractère innovant du projet et des faiblesses des principes d'OOA, la démarche finalement mise en oeuvre a été adaptée en conséquence (cf. figure 3).

En premier lieu, il convient de ne pas se leurrer sur la portée de ce que l'on décrit dans le domaine SÉQUENCEMENT. Ce domaine permet d'introduire une logique "rationnelle", assez proche de la logique de fonctionnement, mais qui demande à être ensuite transformée en logique d'utilisation par d'autres moyens, tels l'utilisation d'une maquette à des fins de simulation.

Quelle a été la demande ? Ne disposant pas de situation de référence concernant le travail des fiabilistes, aucune véritable analyse de l'activité n'a pu être réalisée. Des entretiens ont été menés avec des fiabilistes, autour d'études déjà effectuées manuellement ; ce qui a permis d'identifier :

  • les objectifs de ces études, construites à partir de l'analyse de la demande faite par les fiabilistes auprès des "clients" (pour lesquels des étude de sûreté de fonctionnement étaient réalisées jusqu'à lors),

  • les grandes étapes des études,

  • les principales méthodes probabilistes utilisées et leur enchaînement.

A partir de cette connaissance, un premier SÉQUENCEMENT a été défini ; il comprenait un ensemble des tâches (ou étapes des études) et sous-tâches, amenant à une première logique d'utilisation de TOPASE 1.

Ce SÉQUENCEMENT possible (parmi d'autres envisageables) a été mis au point par itérations successives, et en envisageant progressivement l'activité future des concepteurs de postes.

Fig. 3 : La démarche ergonomique mise en oeuvre

Concrètement, le SÉQUENCEMENT a été bâti comme suit :

  • l'interprétation du cahier des charges et des résultats de l'étude de faisabilité technique a permis d'extraire une première logique de fonctionnement,

  • cette logique de fonctionnement confrontée aux pratiques actuelles des fiabilistes, identifiées lors des entretiens, a abouti une ébauche de logique d'utilisation, correspondant au SÉQUENCEMENT demandé,

  • sur la base de cette ébauche, envisagée à partir des étapes probables des futures études de fiabilité automatisées, l'accent a été mis sur la première des étapes à réaliser par l'utilisateur : décrire l'installation électrique à étudier. Cet ensemble de tâches a été l'occasion d'accéder aux objets habituellement manipulés par les concepteurs. Ceci a permis de stabiliser une représentation commune (fiabilistes, concepteurs et ergonomes) du domaine des postes électriques, manipulée dans l'outil.

Le formalisme du domaine SÉQUENCEMENT s'apparente à une décomposition hiérarchique des tâches, sous-tâches, sous-sous-tâches, etc. Pour décrire cette décomposition, un texte édenté a été construit à partir du mode "plan" de Word. A nouveau, il ne s'agissait pas de définir des tâches au sens prescrit du terme, mais plutôt un ensemble structuré et amalgamé d'objectifs supposés de l'utilisateur et de contraintes induites par l'organisation fonctionnelle de l'outil. Il faut noter que dans la méthode OOA, le SÉQUENCEMENT est spécifié en langage naturel, à charge ensuite aux informaticiens d'en extraire par une analyse syntaxique les concepts de base pertinents pour la modélisation des objets informatiques mis en oeuvre dans le domaine CONTRÔLE.

La spécification du domaine PRÉSENTATION

Sur la base de ces "modalités probables d'utilisation" issues de l'analyse du SÉQUENCEMENT, les ergonomes ont rédigé le cahier des charges de l'interface de la maquette du prototype TOPASE1.

Concrètement, les ergonomes ont proposé d'identifier les principaux moments d'interaction et d'arrêter un certain nombre d'archétypes d'interactions possibles.

Ces moments correspondent à des phases homogènes des études, devant servir de structuration pour l'IHM. Ainsi, à chaque moment, il est proposé de définir un espace de travail pour l'utilisateur de TOPASE 1, correspondant à une composition significative de fenêtres permettant de présenter la majorité des informations et des commandes nécessaires à la réalisation des tâches de la phase considérée.

Les archétypes proposés ont figé un certain nombre d'options pour les aspects suivants : interactions graphiques ou textuelles, présentation d'information selon diverses "focales" (vue de détail vs vue de synthèse, plan de visualisation permettant de masquer des classes sémantiques d'information), redondances des commandes ou des informations présentées, etc.

Ces propositions ont ensuite été illustrées dans le cahier des charges par des représentations partielles de l'interface produites à partir d'un premier outil de maquettage rapide[2] mais limité.



Un recours nécessaire à la réalisation d'un cas-test

Une maquette de l'IHM du prototype avait été envisagée dès l'origine du projet. Sa finalité était de fournir un support "interactif" pour valider le SÉQUENCEMENT, apprécier l'utilité des fonctions et évaluer l'utilisabilité de l'interface. C'est sur cette maquette que devait être fondée la spécification du domaine PRÉSENTATION.

En raison de diverses contraintes, la consistance de la maquette produite par le maître d'oeuvre n'a pas permis d'envisager une utilisation intensive pour procéder à des tests "d'utilité" et "d'utilisabilité".

Comme solution de rechange, les ergonomes ont alors envisagé de bâtir un cas-test.

A partir de copies d'écrans "aménagées" et complétées par des supports papier issus d'études "manuelles" antérieures, une étude de SdF simplifiée a été mise au point et jouée auprès d'une dizaine de fiabilistes possédant des degrés d'expertise variables.

Ce travail de simulation portait à la fois sur les concepts proposés par -- et manipulés dans -- l'outil et sur les modalités d'interactions avec l'IHM.

L'exploitation de ce cas-test (complétée par un questionnaire relatif à la terminologie) a permis, au cours de quelques réunions avec des collaborateurs internes et externes à l'équipe de conception, de faire évoluer la logique d'utilisation et l'IHM, de stabiliser le domaine SÉQUENCEMENT et de préciser le domaine PRÉSENTATION.

Ainsi, en regard de la multitude des paramètres de traitement qui s'offrent à l'utilisateur, ont été fixées des options amenant à proposer à l'utilisateur des orientations d'études prédéfinies. Chaque orientation correspond à des requêtes et des traitements spécifiques d'une problématique de conception des postes électriques. Par ailleurs, une orientation d'étude personnalisée permettant à l'utilisateur de fixer lui-même tous les paramètres est proposée. Avec cet ensemble, deux grands modes d'interaction existent, correspondant à des niveaux différents d'automatisation des études :

  • les études prédéfinies, ciblées sur les utilisateurs experts dans le domaine, mais débutants en fiabilité,

  • l'étude personnalisée, ciblée sur les fiabilistes ou experts dans le domaine des postes ayant acquis une certaine pratique dans les études de SdF.


Retour d'expérience lors de la recette

La recette ergonomique du prototype

En parallèle du travail des informaticiens visant à effectuer la recette fonctionnelle du prototype, les ergonomes ont réalisé dans un premier temps une évaluation heuristique de l'interface en se basant sur les critères désormais classiques proposés en particulier par l'INRIA [6].

Cette évaluation a révélé un certain nombre de faiblesses ergonomiques, la plupart renvoyant à un manque de guidage (prompting absent...), d'autres relevant de défauts de structuration de l'information (par exemple, séparation dans plusieurs fenêtres d'informations mobilisées dans une même continuité d'objectif pour l'utilisateur...).

On peut voir derrière le nombre important de remarques correctives émises à ce stade, une forme de "sanction" différée, liée au fait de n'avoir pu utiliser pleinement la maquette, fournie en cours de spécifications, pour pouvoir appréhender concrètement les aspects dynamiques de l'interface.



Premiers enseignements d'OOA dans le projet Topase


Bien que le projet ne soit pas terminé, des premiers enseignements peuvent être considérés.

Au plan de la conduite du projet, l'adoption du cadre commun d'analyse OOA a eu l'intérêt de fournir d'emblée un langage commun à tous les membres de l'équipe de conception, favorisant ainsi la collaboration et la cohésion du projet. Par ailleurs, ce cadre commun a permis de répartir explicitement les rôles et les contributions de chacun ; ce qui légitime d'emblée la place de l'ergonome.

Concernant les spécifications, la méthode OOA a permis :

  • d'introduire explicitement un point de vue utilisateur, dès le départ de la conception, dans l'analyse du domaine SéQUENCEMENT. Sachant que ce domaine fournit les données d'entrée aux autres domaines, cette caractéristique conditionne toute la suite des spécifications,

  • d'intégrer en cours de développement des réorientations importantes, ceci grâce à l'apport en traçabilité. Cette caractéristique a eu un rôle important, car, étant donné la nature très ouverte du projet, basée sur un travail de prototypage, il était illusoire de penser pouvoir figer rapidement les spécifications.

Toutefois, la méthode OOA comporte encore quelques faiblesses quant aux préoccupations et pratiques de l'ergonome. Aussi, par rapport à la carte des domaines prévue, diverses modifications ont du être opérées (cf. figure 4).

La spécification du domaine PRÉSENTATION est théoriquement largement définie à partir des domaines SÉQUENCEMENT et CONTRÔLE. En pratique, la contribution du domaine CONTRÔLE au domaine PRÉSENTATION s'est avérée quasi nulle, le pont entre les deux domaines n'ayant pas été spécifié. Une des raisons principales de cette lacune réside certainement dans le fait que l'un est rédigé dans un langage opératif et l'autre en langage naturel et que globalement OOA propose peu de choses vis-à-vis de la définition des ponts entre domaines.

Il semblerait que l'on butte sur le constat fréquemment fait par les ergonomes de la distance entre, d'une part, les objets manipulés par le concepteur dans les domaines CONTRÔLE et NOYAU, et d'autre part, la notion de "moment d'utilisation" qui préjuge de "l'environnement IHM requis" pour l'utilisateur dans une situation d'activité caractéristique donnée.

Une des conséquences de cette distance a été l'impossibilité de prendre en compte, dans les spécifications, les moments qui avaient été introduits dès le cahier des charges de la maquette.

Nous obtenons, au stade du prototype, une interface de type Bureautique, multifenêtrée et très élémentaire (au sens de fragmentée), où l'utilisateur doit se (re)constituer son environnement, à chaque grande phase de l'étude. Ceci invalide l'un des principes énoncés par l'ergonome qui visait à ce que l'utilisateur soit libéré de l'administration de l'interface, pour n'avoir à se consacrer qu'aux questions de SdF.

Fig.4 : Carte effective des domaines

Ainsi en pratique, la spécification de l'IHM s'est appuyée sur les connaissances de l'ergonome injectées dans le SÉQUENCEMENT et de toutes les informations obtenues principalement lors de la réalisation du cas-test.

Il n'y a pas eu de dérivation naturelle de la PRéSENTATION à partir du SÉQUENCEMENT et du CONTRÔLE ; plus globalement, les domaines SÉQUENCEMENT et PRÉSENTATION souffrent d'un manque d'intégration aux autres domaines.

Concernant le formalisme adopté pour le SÉQUENCEMENT, en texte indenté, celui-ci induit une lecture linéaire qui met mal en exergue les "tâches" qui peuvent être développées en parallèle, ou qui ne comportent pas de relations séquentielles obligatoires.

La représentation graphique (ensemble de schémas rendant compte des liens entre les différentes tâches) utilisée en complément du texte indenté, a permis de pallier en partie cette limite d'OOA, sans pour autant restituer et développer la notion de moments qui devait structurer l'interface.

Plus globalement, OOA ne propose pas de formalisme qui permette d'introduire le contexte de réalisation des tâches.



Conclusion

En conclusion, la méthode OOA, au-delà de ses qualités comme méthode de spécification globale d'un projet, constitue un moyen particulièrement naturel d'intervention de l'ergonome en conception. Néanmoins, il faut être vigilant pour que le caractère rationnel, pragmatique de cette approche n'efface le rôle d'accompagnement du processus de changement que peut prendre en charge l'ergonome.

La croyance en des méthodes permettant de spécifier avec succès un dispositif qui réponde du premier coup à des besoins définis une fois pour toutes, cède la place à un plus grand pragmatisme dans la conduite des projets de conception.

Soulignons dans ce contexte, qu'une maquette "papier" est parfois plus utile qu'une maquette informatique incomplète et statique.

En l'état actuel du projet, l'absence de situations de référence pour la réalisation intégrée d'études de SdF n'a été qu'en partie compensée par la réalisation du cas-test ; la distance entre la SdF et les pratiques actuelles de concepteurs de postes n'a pas été abordée.

Pour ces deux points, qui relèvent des fondements de la démarche ergonomique, l'utilisation du prototype TOPASE 1, qui est l'objet de la prochaine phase du projet, va être essentielle.

Il est envisagé en premier lieu l'utilisation du prototype par des fiabilistes, pour évaluer la qualité de l'outil en regard des critères d'une bonne étude de SdF. Cette phase va permettre d'identifier un premier ensemble de points faibles à reprendre dans la spécification de l'outil final et à préparer l'utilisation du prototype par les concepteurs de postes.

La deuxième phase d'utilisation de TOPASE 1 se fera auprès des futurs utilisateurs de l'outil. Il s'agit d'évaluer la qualité de l'outil pour que des non experts en fiabilité réalisent des études de SdF. La qualité de l'automatisation sera au centre de cette évaluation.

Pour préparer ces phases, une formation à la SdF et à l'outil sera réalisée, des supports pédagogiques et un manuel d'utilisation de l'outil seront proposés.



Bibliographie

[1] SHLAER, S. & MELLOR, S.J. (1992). Object Lifecycles : modelling the World in States. Yourdon Press.

[2] LAGRANGE, V. (1994). Définir la coopération homme-machine dans la conduite de systèmes automatisés. Une démarche menée à électricité de France. Thèse de Doctorat d'Ergonomie, Paris, Université Paris-Nord.

[3] JEFFROY, F. (1987). Maîtrise de l'utilisation d'un système micro-informatique par des utilisateurs non informaticiens. Thèse de Doctorat d'Ergonomie, Paris, CNAM.

[4] DANIELLOU, F. (1985). La modélisation ergonomique de l'activité de travail dans la conception industrielle. Le cas des industries de processus continu. Thèse de Doctorat d'Ergonomie, Paris, CNAM.

[5] ANDRE, J., BONNEAU, D. & BRISSON, G. (1994). Spécification objet d'une interface homme-machine. In ERGO-IA'94, Biarritz, 26-28 Octobre 1994.

[6] SCAPIN, D.L. (1990) Des critères ergonomiques pour l'évaluation et la conception d'interfaces. Comptes rendus du XXVIème congrès de la SELF - Montréal - 3 au 5 octobre 1990.

[6] POLLIER, A. (1991) Évaluation d'une interface par des ergonomes : diagnostics et stratégies. Rapport INRIA 1391.

[6] BASTIEN, J.M.C. & SCAPIN, D.L. (1993) Critères Ergonomiques pour l'Évaluation d'Interfaces Utilisateurs (version 2.1). Technical report Ndeg.156, May 1993. INRIA. Programme 3 Artificial intelligence, cognitive systems, and man-machine interaction.


[1] un ensemble de déterminants (objectifs à atteindre, personnes engagées dans l'action, contraintes de temps, disponibilité des moyens...) dont la présence simultanée va conditionner la structuration de l'activité. [Retour corps du texte]

[2] Marksmann(TM) Editeur de chez IT Makers [Retour corps du texte]

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